Version intégrale de la contribution CGT à la table ronde organisée par la Commission des Lois de l’Assemblée Nationale portant sur l’avenir des professions réglementées, dans le cas présent des notaires.
TABLE RONDE DE LA MISSION D’INFORMATION
SUR LES PROFESSIONS JURIDIQUES RÉGLEMENTÉES DU 4 NOVEMBRE 2014
Exposé de la CGT (par Pierre LESTARD) pour le NOTARIAT
PREAMBULE
La CGT (n° 2 dans le notariat) s’est résolument engagée dans la défense du notariat sur deux fondements :
- La défense de l’outil de travail des 48.000 salariés : emplois, salaires, et protection sociale.
- La défense du service public du droit tel qu’assuré par le notariat.
Ayant noté que le monopole sera préservé (dixit le Ministre de l’Economie), nous nous limiterons aux 3 sujets suivants que nous estimons importants :
- La liberté d’installation
- L’ouverture du capital des sociétés
- Le tarif des notaires
D’entrée, la CGT affirme son attachement au droit continental et refuse une évolution vers le droit Anglo-saxon où prédomine l’ultra libéralisme, incompatible avec un service public du droit partout et pour tous.
Je dois à cet instant évoquer le questionnaire de la mission reçu hier, pour dire que je m’en tiendrai aux grands thèmes ci-dessus qui fondent le débat sur le service public du droit assuré par le notariat, et qui monopolisent largement le temps imparti.
La CGT répondra néanmoins au questionnaire dans une note technique qui sera adressée à la mission dans les prochains jours.
D’autres documents sont compris au dossier que je vais remettre, et notamment des éléments statistiques et le texte de la présente intervention qui va avoir un rythme soutenu pour tenir dans les temps.
Documents remis, outre le texte de la présente intervention :
- article d’un professeur de l’université de Paris XIII sur l’acte authentique.
- analyse détaillée, par l’intersyndicale, du rapport de l’IGF (déjà remise aux Pouvoirs Publics)
- une fiche-statistiques sur le notariat (nombre de salariés, de retraités, catégories professionnelles, salaire moyen, etc…
- simulation d’une baisse du tarif.
LA LIBERTE D’INSTALLATION
La position de la CGT se résume en 2 points :
- Le fonctionnement du service public du droit est délégué par l’Etat aux notaires, mais c’est l’Etat qui doit rester garant d’un égal accès au droit de tous les citoyens
- C’est l’Etat (en fait, le Garde des Sceaux), qui doit rester décisionnaire du nombre de notaires et de l’implantation des offices selon 2 critères principaux :
- le maillage territorial adapté aux besoins des citoyens
- la viabilité économique des offices, car sans cette viabilité le notaire ne pourra pas se doter des moyens indispensables pour assurer la sécurité juridique des citoyens.
La CGT est donc opposée à la liberté d’installation qui, en outre, générerait des déserts juridiques.
Elle approuve la position de la Ministre de la Justice sur cette question.
En fait, ce n’est pas le nombre de diplômés qui doit générer le nombre de notaires et l’implantation des offices, mais uniquement les besoins des citoyens, évalués par l’Etat.
Mais, qu’il faille alléger et simplifier les processus administratifs, OUI – qu’il faille raccourcir les délais et assurer un traitement égalitaire des candidats, OUI.
Et pour la CGT, le principal obstacle à l’installation des jeunes diplômés est le coût des offices, source, au surplus, de discrimination par l’argent, totalement contraire à la notion de service public.
L’OUVERTURE DU CAPITAL DES SOCIETES
3 points :
- Opposition de la CGT à l’ouverture du capital à des non professionnels, qui générerait des exigences de rentabilité immédiate de la part des actionnaires, incompatibles avec la notion de service public.
- Faut-il ouvrir aux autres professions du droit ? La CGT craint que perdure la pression de la rentabilité, et des effets pervers remettant en cause le principe du libre choix de son notaire par le citoyen, car les professionnels actionnaires seront tentés d’orienter leurs propres clients vers l’office notarial où ils auront des intérêts.
- La CGT considère que les mécanismes actuels, qui comportent déjà une ouverture à des professionnels, constituent un bon équilibre entre la nécessité d’un apport de capitaux et le souci, éthique, d’indépendance des notaires en exercice.
La CGT souligne que les besoins de capitaux seraient sans objet si, comme en Alsace Moselle, la vénalité de la charge n’existait pas.
On relève l’exemple du notaire vous révélant qu’il doit à ce titre rembourser 80.000 € par an. Si bien que sur un bénéfice imposable confortable de 200.000 € par an il lui reste net après impôts 30.000 €.
C’est donc la suppression de cette vénalité (avec une période transitoire) qui pourrait permettre d’envisager une baisse modérée du tarif sans dommage pour le service public.
Enfin, la CGT est favorable à une autre forme sociétaire, avec les adaptations nécessaires : la Société Coopérative de Production (SCOP).
LE TARIF DES NOTAIRES
Introduction
Le recours au notaire n’est pas fréquent pour le citoyen lambda et n’a donc pas d’impact significatif sur son pouvoir d’achat. Et, à supposer qu’il en ait, ce sont les taxes qu’il faudrait diminuer puisqu’elles représentent 80 % de ce qu’on appelle improprement “les frais de notaire”.
Par contre, le recours au notaire marque des moments importants de la vie du citoyen, avec des conséquences majeures et durables. La question essentielle, qui résulte d’ailleurs de vos auditions, est celle de la sécurité juridique du citoyen.
Dès lors, il faut répondre à 3 questions :
- Une baisse du tarif aurait-elle un impact sur la sécurité juridique ?
- A qui profiterait cette baisse ?
- Comment satisfaire les consommateurs qui déplorent opacité et manque d’information sur les frais ?
1 – Impact d’une baisse du tarif sur la sécurité juridique
OUI, il y aurait un impact négatif. Pour preuve, ce qui se passe à chaque crise économique. La plus récente, en 2008, a vu 6.000 suppressions d’emplois dans le notariat, soit 13 % des effectifs, pour réduire les coûts de production.
Or la sécurité juridique résulte pour l’essentiel des moyens affectés à l’étude des dossiers et à la rédaction des actes. Il ne vous a pas échappé à l’audition du notaire qui a détaillé son emploi du temps d’une journée-type, que le notaire n’a pas de temps pour l’étude approfondie des dossiers et la rédaction des actes, relevant en fait de la mission des salariés juristes.
Et la réduction des moyens conduira à une pression pour produire plus, voire même à confier le travail à des personnes moins rémunérées et donc moins qualifiées, au détriment de la qualité.
Avec en outre le risque d’autres effets pervers :
- le notaire en difficulté économique ne va-t-il pas être tenté de générer des recettes par des pratiques prohibées ? La Ministre de la Justice elle-même a évoqué devant vous le risque d’infractions à la déontologie.
- ne va-t-il pas aussi chercher à faire du chiffre par la négociation immobilière en remplaçant des juristes par des vendeurs ? Le notariat aura alors changé de nature.
- et ne va-t-il pas, pour le secteur libre, prendre des honoraires plus élevés ?
Au final, pour des résultats infinitésimaux en termes de pouvoir d’achat et nuls en termes de croissance, on va mettre à mal la sécurité juridique.
Pour illustrer ce propos, la CGT a repris le cas du notaire qui vous a dit réaliser 200.000 € de bénéfice imposable. Et elle a simulé les effets d’une baisse de 12 % de la dernière tranche d’honoraires pour une vente de 200.000 € : la baisse est estimée à 140 €.
Rapporté au total de l’investissement, ce n’est rien pour le client lambda qui, au surplus, réalise très peu de fois dans sa vie une telle opération.
Mais le notaire voit son bénéfice fortement réduit, au point de devoir envisager 2 solutions : générer des recettes contestables comme le craint la Garde des Sceaux, ou licencier massivement et risquer de dégrader la sécurité juridique attendue par le client.
Cette simulation fait l’objet d’une fiche qui vous est remise.
Il y a donc un réel danger pour le service public et les emplois, que dénonce la CGT.
Avec aussi en dommage collatéral, la mise en péril du régime spécifique de protection sociale des salariés du notariat (la CRPCEN), financé pour partie par une cotisation sur le chiffre d’affaires et qui, s’il devait être intégré au régime général, générerait une charge pour la collectivité nationale estimée à 300 M€ par an.
2 – A qui profiterait cette baisse ?
Vous savez que le tarif des notaires a un caractère redistributif, et que pour les “petits actes” les honoraires ne couvrent pas les coûts.
C’est rendu possible, sans dommage pour le service public, par des honoraires qui peuvent être importants sur les “gros actes”. Si on les remet en cause il faudra augmenter ceux des petits actes.
Au final, la baisse profiterait aux riches clients, et entraînerait une augmentation des coûts pour les clients des classes populaires et moyennes.
Ce serait injuste, et la CGT approuve les propos de la Ministre de la Justice tenus devant vous (je cite): “il n’est pas injuste que les personnes qui ont la chance de pouvoir faire des opérations sur des capitaux importants paient plus – le sujet du niveau des revenus acquis dans le respect des règles n’est pas un sujet en soi, et le souci est plutôt de savoir comment on organise la solidarité”.
Nos propositions d’un mécanisme de péréquation vont dans ce sens.
3 – Le problème de l’information sur les frais
Les associations de consommateurs ont raison de soulever ce problème, et il faut que le client soit clairement informé des honoraires, notamment de ceux qui nécessitent son accord.
Par ailleurs, la CGT est opposée aux corridors tarifaires envisagés par le Ministre de l’Economie, permettant des honoraires variables dans la limite d’un plafond.
D’une part, ce serait source de traitement inégalitaire du citoyen face au service public, puisque les honoraires ne seraient plus en lien avec la prestation assurée, mais avec l’importance de certains clients ou les impératifs économiques du notaire. Par exemple, le jeune notaire très endetté par l’achat de son office sera contraint de prendre le plafond, alors que le notaire déjà installé pourra prendre moins.
D’autre part, ce système ouvrirait la porte à des pratiques concurrentielles de type “commercial” constitutives d’infractions à la déontologie et évoquées par la Garde des Sceaux, alors que ce ne serait pas le cas de la péréquation que nous proposons.
Imagine-t-on le client faire le tour des notaires pour dénicher celui qui lui fera la meilleure offre de frais ? Il faut bien peu connaître le terrain pour le penser. Et si c’était le cas, rappelons les effets négatifs de la réduction des moyens sur la sécurité juridique.
LES PROPOSITIONS
1 – Pour l’installation et le maillage : décisions par l’Etat pour un maillage en fonction des besoins des citoyens – compétence du Garde des sceaux pour les nominations, tenant compte de la viabilité des offices – plan de développement à caractère obligatoire, avec sanctions à l’appui.
2 – Pour l’ouverture du capital : maintien du système actuel, satisfaisant.
3 – Maintien du système tarifaire actuel et de son niveau – sans préjudice d’une réflexion pour corriger les anomalies s’il y en a – la CGT demande que les organisations syndicales soient parties prenantes à cette réflexion – maintien de la compétence du Garde des Sceaux pour toutes questions concernant le tarif – prise en compte des besoins de financement de la CRPCEN
4 – Mesure de solidarité par une péréquation à la charge des offices réalisant des profits importants, au bénéfice des petits offices, en alimentant par une “contribution de solidarité” un fonds de péréquation. Le tout dans des conditions techniques à définir. Les avantages :
- corrige les niveaux de revenus élevés.
- donne des moyens supplémentaires aux petits offices pour un meilleur service.
- préserve le maillage juridique du territoire.
- préserve la qualité de service et la sécurité juridique pour tous les citoyens.
- est une mesure de justice.
La CGT n’invente rien : c’est une mesure préconisée en 2008 par le rapport ATTALI.
Et l’UFC-Que choisir l’a même suggérée.
5 – Information obligatoire du client, sous peine de sanctions, sur la répartition des frais, entre :
- taxes
- déboursés
- émoluments et honoraires
Le moyen : remise d’un état prévisionnel avant l’acte, et d’une facture ventilée après l’acte.
Pour les honoraires du secteur libre : obligation d’indiquer le montant exact et les critères retenus pour sa détermination, et d’obtenir l’accord écrit du client.
6 – Pour le traitement des réclamations : durcir les textes pour obliger les Chambres de notaires à l’examen des réclamations et à y répondre.
7 – Développer le conseil gratuit en le structurant, par exemple au moyen de permanences dans les mairies, ou autres lieux dont le public serait informé.
Et nous rappelons notre observation sur les problèmes que pose la vénalité de la charge.
En conclusion : prenons garde à ne pas faire du service public du droit une marchandise, et à ne pas ouvrir la boîte de pandore par des mesures sans effet significatif sur le pouvoir d’achat et la croissance.
La concurrence entre notaires doit, pour profiter vraiment au citoyen, se faire exclusivement par le niveau de qualité du service public rendu.
Dernière minute : le rapport FERRAND
Quelle efficacité !
27 jours pour un rapport de 91 pages avec de multiples auditions.
Mais il n’est pas admissible que ce rapport soit publié avant que votre mission ait achevé ses travaux.
On peut dès lors s’interroger. Le rapport FERRAND vise-t-il à éclairer Bercy par des analyses indépendantes, ou seulement à venir en appui des objectifs qui lui ont été dictés par Bercy.
Car ce n »’est sans doute pas un hasard si ce rapport est conforme aux déclarations du Ministre de l’Economie. On a le sentiment que les décisions sont déjà prises indépendamment des travaux de concertation, et que la Garde des Sceaux, dont j’ai rappelé les dires, va devoir « avaler son chapeau » alors pourtant que c’est elle qui connaît bien le notariat.
C’est du passage en force, qui égratigne la démocratie.
COMPLEMENT A L’INTERVENTION DE LA CGT
adressé à la commission par courrier du 6 novembre 2014
1.- S’agissant du mécanisme de péréquation, il ne s’agit pas de “subventionner” purement et simplement certains offices.
Il est en effet évident que les modalités d’application, outre le “curseur” sur les revenus (tant pour verser que pour être bénéficiaire), auront à prévoir des critères fondés sur l’amélioration du service public comme l’emploi, les qualifications, la formation, etc… soumis à contrôle.
2.- S’agissant de la question tarifaire, la CGT réitère son opposition de la CGT aux “corridors tarifaires” pour les motifs déjà exposés.
3.- S’agissant du nombre de notaires, bien qu’ayant conscience du non respect par le notariat de ses engagements, la CGT confirme qu’elle ne veut pas faire de cette question un dogme mais être pragmatique et donc :
- favorable à des créations d’offices, après évaluation des besoins, pour améliorer le maillage du territoire et l’accès des citoyens au service public du droit, et développant l’emploi.
- réservée quant à l’augmentation du nombre de notaires dans un même office, l’expérience ayant révélé qu’un nombre excessif conduit à des suppressions d’emplois, notamment de cadres de haut niveau, et à une pression négative sur les qualifications, les salaires et les conditions de travail, au détriment du service public et de la sécurité juridique.
4.- Sur le droit de présentation (question posée par le Vice Président HOUILLON et à laquelle la CGT a été privée de la possibilité de répondre comme indiqué en propos introductif), la CGT est favorable à sa suppression, comme d’ailleurs de la vénalité de la charge.
Même dans l’hypothèse du maintien de la vénalité de la charge, la CGT reste favorable à la suppression du droit de présentation, considérant que le choix du professionnel qui va être chargé d’une mission de service public par délégation de l’Etat ne doit pas être fait par l’ancien titulaire (méthode qui favorise les “fils ou filles de”) mais par voie de concours.
La CGT est donc clairement favorable à la proposition du rapport FERRAND à cet égard (proposition n° 5).
5.- Sur le recours à une nouvelle forme de société d’exercice (la SCOP) : elle est adaptable au notariat, comme on a su adapter le contrat de travail lors de la création des “notaires salariés”. Bien sûr, l’exercice de la fonction de notaire sera réservée aux diplômés qui seront indépendants dans leur mission de conseils et choix juridiques pour le client.
L’avantage est une gouvernance démocratique et une répartition des résultats prioritairement affectés à la pérennité des emplois et du “projet d’entreprise”.
Enfin, la CGT constate que le rapport FERRAND n’est pas favorable à la liberté totale d’installation, et elle en prend acte avec satisfaction.