Délégation CGT : Catherine Perret (Secrétaire confédérale) et Victor Duchesne (Conseiller Confédéral).
Le ministre du travail, du plein emploi et de l’insertion, Olivier Dussopt, a convié le 19 septembre les syndicats de salariés (représentatifs ainsi que la FSU et l’UNSA) et les organisations patronales pour une présentation du rapport du COR de septembre 2022.
L’objectif du ministre était avec cette présentation de trouver à l’issue de la réunion un point d’accord commun avec les partenaires sociaux sur notamment la situation financière du système de retraites. Il s’agissait également pour le ministre d’entendre les avis et les solutions sur deux aspects du système de retraite français actuel à savoir est-ce que le niveau de protection est acceptable et que penser des principaux problèmes qui toucheraient le système de retraite c’est-à-dire des problèmes de lisibilité, de niveau de pension insuffisant pour certaines carrières complètes, etc. Pour le ministre, si le niveau des pensions est satisfaisant il y a donc de nombreux problèmes à régler. Autrement dit, il faut réformer dans l’intérêt des assurés bien évidemment.
Comme pré-supposé de sa présentation, le ministre a clairement posé le fait que parmi les deux conventions développées dans le rapport du COR, seule la convention EPR était retenue par le gouvernement, la convention EEC n’était pas à son sens réaliste. Pour illustrer ce caractère irréaliste d’un maintien de l’effort contributif de l’Etat le ministre a cru bon de pousser la logique jusqu’au bout en posant la question du sens d’une contribution de l ’Etat au système de retraite dans une situation où il n’y aurait à termes plus de pensionnés publics. Exercice de pensée plutôt culoté dans un contexte d’attaques récurrentes contre le statut de la fonction publique et le régime de retraite des fonctionnaires.
A l’aide d’un diaporama, le ministre a ensuite présenté sa lecture, celle du gouvernement, du rapport du COR, exercice vraisemblablement assez inédit de la part d’un ministre. A priori, les syndicats avaient besoin d’une leçon de compréhension du rapport !
Ainsi, les retraités français dans la lecture gouvernementale du rapport :
- Ont un niveau de vie relatif plus élevé que l’ensemble de la population (« en 2019, le niveau de vie moyen de l’ensemble des retraités représentait 101,5 % de celui de l’ensemble de la population. » COR p.169 – graphique 3.7 présenté)
- Contre lecture – Il ne faut pas comparer par rapport à l’ensemble de la population mais par rapport aux actifs. Si les retraités ont un niveau de vie relatif plus élevé c’est justement grâce à la protection du système de retraite alors que les salariés connaissent une baisse de leurs revenus nets.
- Sont moins pauvres que l’ensemble de la population (« en 2019, le taux de pauvreté (proportion de personnes ayant un niveau de vie en dessous de 60 % du niveau de vie médian) était, selon l’enquête ERFS, de 9,5 % pour les retraités (10,4 % pour les femmes retraitées et 8,5 % pour les hommes retraités », COR p.201 – graphique 4.10 présenté) même si le ministre précise immédiatement que 9.5% de retraités en dessous du seuil de pauvreté ce n’est évidemment pas satisfaisant.
- Contre lecture – Si ce constat est statistiquement vrai, ce n’est pas la faute des retraités. Ils bénéficient d’une précarité plus faible grâce là encore au système de retraite notamment. Mobiliser cet argument expose le gouvernement à l’autre lecture du constat : comment expliquer une telle précarité dans le reste de la population alors que le pays n’a jamais été aussi riche et que les gouvernements successifs essayent soi-disant de la résoudre ? Le problème ce n’est pas la pseudo richesse relative des retraités mais la pauvreté du reste de la population.
- Bénéficient à la fois d’un âge de départ à la retraite plus précoce actuellement ou dans les années à venir et une durée de retraite plus élevée que dans les autres pays européens (graphiques 5.II et 5.III présentés, COR pp. 256-257)
- Contre lecture – La durée passée à la retraite en proportion de la vie totale est la même pour la génération 1940 que pour la génération 2000 (29% et 30%) pour une proportion de la durée d’étude et d’insertion dans la vie quasi-équivalente pour les deux générations (COR, pp.195-196). Autrement dit, rien ne change.
Autrement dit, par ces trois constats le gouvernement cherche à montrer de manière assez grossière que les retraités français ne sont pas à plaindre par rapport à l’ensemble de la population ou aux européens. Ces trois constats permettent également au gouvernement d’expliquer le haut niveau des retraites par rapport au PIB en France (de 13.8% à 14.7%), niveau d’autant plus élevé si on le compare à celui des autres pays européens nous dit le ministre car au-dessus de la moyenne. Par conséquent, notre système de retraite doit faire face à deux défis majeurs : celui du financement et donc celui du niveau de vie des retraités.
En ce qui concerne l’enjeu gouvernemental de financement, le ministre a déroulé des arguments éculés (rapport cotisants et retraités, espérance de vie, taux d’emploi des seniors, etc.) afin de mettre en évidence des difficultés de financement. Le ministre a insisté sur le fait que ces difficultés de financement conduiraient quel que soit le scénario retenu (sauf le plus favorable) à un déficit dans la convention EPR du COR, celle retenue par le gouvernement (graphique 2.19 présenté, COR p.102). Mais surtout le ministre a innové en présentant un graphique inédit, non présent dans le rapport mais produit à partir des données du COR, sur les déficits cumulés du système de retraite de 2020 à 2070, en milliards d’euros. Bien que le ministre ait précisé sa faible appétence pour une approche de ce type, il lui a trouvé néanmoins la vertu pédagogique de mettre en évidence les enjeux budgétaires d’une absence de réforme notamment en termes de dette publique et du rôle du système de retraite dans la dynamique de cette dernière. Le déficit cumulé du système de retraite en fonction des scenarii serait de 600 à 900 milliards d’euros sur la période. Précisons-le immédiatement, ceci est une pure farce comptable ! Le ministre passe d’un raisonnement en point de PIB à un raisonnement en milliards d’euros, d’une proportion de la richesse nationale à un volume, sans mettre en évidence l’évolution en milliards du PIB et de la dette en parallèle. Le PIB augmentant plus vite que la dette générée par le régime de retraite, la dette exprimée en fonction du PIB diminuerait mécaniquement.
En ce qui concerne, l ’enjeu gouvernemental du niveau de vie des retraités, le ministre a conscience de la baisse et souhaite la corriger (a priori c’est le graphique 3.8 qui a été présenté, COR p.171). C’est même une raison de plus pour réformer le financement du système de retraite : afin de limiter cette baisse il faut dégager des moyens ou au moins
préserver le système. A n’en pas douter le ministre ne s’est pas appesanti sur la question, dépenses obligent !
A la suite du ministre, les organisations syndicales et patronales ont répondu successivement par ordre d’importance en termes de représentativité. Les organisations « invités » UNSA et FSU sont intervenues à la fin. La présence de ces deux dernières organisations n’était pas prévue mais compte-tenu des enjeux notamment pour la fonction publique ceci a été corrigé.
De manière générale, l’ensemble des organisations syndicales a refusé à la fois méthode et le fond de l’argumentation gouvernementale. Sur la méthode, les organisations syndicales ont toutes dénoncé la perspective d’un passage en force par la LFSS et la stratégie de pseudo concertation avec ce genre de réunion. Sur le fond, toutes les organisations adoptent la même lecture du rapport, une lecture contraire à celle du gouvernement, à savoir l’absence de problème de long terme et de court terme, le caractère artificiel et incertain de nombreuses difficultés que connaitrait le système de retraite compte-tenu des méthodes de calcul ou de l’incertitude des prévisions, l’importance de répondre aux besoins des travailleurs et des retraités, le caractère inefficace de la politique économique et d’emploi du gouvernement.
Plus en détail, chaque organisation syndicale est revenue à sa manière, plus ou moins réformiste, sur des aspects qui justifient la nécessité de ne pas réformer dans l’urgence mais de réformer enfin dans l’intérêt des assurés :
- La CFDT a ouvert le feu de manière générale contre la méthode et le fond mais a tenu son discours habituel sur la nécessité de mieux gérer les carrières compte-tenu des évolutions du travail ou celui sur sa volonté de jouer le jeu de la concertation (exemple avec le CNR Macron). Mais la CFDT a explicitement refusé les réunions à venir et le passage en force.
- La CGT a repris les arguments développés dans le communiqué, la nécessité de réfléchir en termes de financement et de projet de société.
Dossier revendicatif : https://analyses-propositions.cgt.fr/dossier_retraites_2022
Communiqué : https://www.cgt.fr/comm-de-presse/retraites-les-finances-sont-au-vert - FO a notamment insisté sur le caractère artificiel du problème de financement des régimes publics.
- La CGC a fait un long exposé sur le recul de l’espérance de vie, la mise sous pression de la chaine de valeur, les 30 milliards d’euros pour la capitalisation qui aliment la financiarisation des entreprises et le recul du travail dans la part de la valeur ajoutée. Mais a précisé qu’elle n’était pas opposée aux réformes, sauf celles proposées par le gouvernement !
- La CFTC a clairement exprimé le fait que le système actuel ne lui convenait pas mais qu’avant de parler de l’âge il fallait régler les autres problèmes en contrepartie : carrières longues, âge de la décote, etc.
- L’UNSA a défendu sa présence à la réunion et évoqué la nécessité d’augmenter les cotisations. A évoqué le fait que l’augmentation de l’emploi des seniors permettrait de résoudre le problème de financement (d’après l’économiste Lorenzi), l’UNSA a aussi évoqué la situation de la dette COVID et de la dette sociale.
- La FSU a insisté sur le fait qu’il fallait comparer le niveau de vie des retraités à celui des actifs et non à celui de l’ensemble de la population, que les prévisions du COR étaient à relativiser car le système s’est retrouvé régulièrement en meilleure situation que ce que prévoyait le COR, par exemple cette année avec un excédent de 900 millions d’euros au lieu d’un déficit prévu par le COR. La FSU a évoqué la prise en compte des années d’étude.
De leur côté, les organisations patronales ont également fait preuve d’une grande prudence quant à la nécessité d’une réforme des retraites. Il y a certes des problèmes à résoudre car le système n’est pas parfait (dépendance, niveau de vie, etc.), un « dérapage » des dépenses à venir mais en aucun cas une urgence pour réformer un système dont la dynamique de dépenses serait incontrôlée. Le patronat a insisté sur la nécessité de s’intéresser au fond des choses. Plus en détails, chaque organisation patronale a insisté sur des points qui justifient la nécessité de ne pas réformer dans l’urgence :
- Le Medef a tenu la ligne la plus conciliante vis-à-vis du gouvernement en insistant sur la nécessité de réforme sans mettre en évidence en quoi c’était urgent et comment y parvenir. La délégation patronale a remobilisé des éléments de langage (soutenabilité, dépendance, important sujet de l’emploi des senior). Un véritable numéro d’équilibriste pour refuser la réforme dans l’urgence sans le dire !
- La CPME a tenu la position la plus dure et libérale comme à son habitude en évoquant des aspects particuliers du système de retraites : fin des régimes spéciaux, retraite plus élevée pour ceux qui ont cotisé que ceux qui ne l’ont pas fait, travailler plus longtemps compte-tenu de l’espérance de vie. Autrement dit, rien de nouveau sous le soleil et nullement besoin d’un nouveau rapport du COR pour entendre les marottes du petit patronat !
- L’U2P a explicitement défendu la nécessité absolue de passer par les partenaires sociaux pour réformer le système et la préservation d’un système de retraite par répartition. Pour l’organisation, un passage en LFSS est strictement impossible. L’U2P, doit encore se souvenir de la tentative lors de la précédente réforme de suppression des régimes spéciaux des libéraux !
Face à ce front uni des organisations syndicales et même patronales, le ministre a poursuivi sa leçon enfin ses leçons !
Leçon de démocratie – Même si le ministre entend l’opposition générale il y a deux options de calendrier sur la table soit un calendrier rapide en LFSS soit plus lent de quelques mois avec les autres réformes sociales. Le ministre a justifié l’absence de besoin d’une concertation plus longue compte-tenu des nombreuses discussions déjà menées avec l’ancienne réforme et on peut donc gagner celui du temps. Par ailleurs, le recours au 49.3 lui semble acceptable compte-tenu du refus systématique et de principes d’oppositions politiques sans connaitre le projet de réforme. C’est dans la constitution donc c ’est démocratique.
Leçon de lecture – Le ministre se dit « épaté » par la lecture des organisations et l’absence de compréhension de leur part de l’urgence car pour lui un déficit à 40 milliards en 2040 c’est aujourd’hui c’est du court terme ! Le fonds de réserve des retraites ne suffirait pas !
Leçon d’économie – La seule atteinte du plein emploi ne compensera pas le besoin de financement du système de retraite notamment compte-tenu de l’inflation et des objectifs de stabilité budgétaire définis en juillet 2022. Le débat sur le poids des dépenses de retraite par rapport au PIB doit être apprécié de manière globale c’est-à-dire au regard du poids de l ’ensemble des dépenses sociales, il en va de notre compétitivité économique et de la maitrise de la dette ! Le ministre s’excuse de cette pensée comptable mais responsable héritée de son passage au ministère du budget.
Pour finir, face à un jury composé des organisations syndicales et patronales on pourra dire que l’exercice de leçons du ministre Dussopt est plus que décevant. On regrettera une perspective d’analyse étroite et biaisée idéologiquement, une maitrise de l’analyse statistique imparfaite et une capacité d’écoute pour le moins limitée.