Projet de loi prorogeant l’état d’urgence sanitaire

Le projet de loi visant à proroger l’état d’urgence sanitaire est étudié au Sénat en première lecture ce 5 mai 2020.

Ce texte a subi des modifications lors de son passage en commission du Sénat. Mais il est peu probable que ses modifications seront approuvées par l’Assemblée nationale, c’est donc la version présentée par le Gouvernement au Sénat qui sera ici commentée. Notons tout de même que les sénateurs ont tenté une offensive en prévoyant que les employeurs, notamment, ne pourraient pas voir leur responsabilité pénale engagée en cas de contamination par le coronavirus. Nous pouvons penser que cette disposition ne passera pas en tant que telle à l’Assemblée.

Mais il est évident que le gouvernement tente par ailleurs au maximum de sécuriser les employeurs à travers les guides de protection, les documents du ministère du travail, afin de leur permettre de s’abriter derrière ces documents pourtant très insuffisants. Ainsi le gouvernement et les employeurs espèrent pouvoir plaider le fait que leur obligation de protection de la santé des travailleurs, réduite à une obligation de moyen renforcée, a été respectée s’ils ont mis en oeuvre ces documents.

Ce projet de loi vise à prolonger l’état d’urgence. Il ne doit pas être confondu avec le plan de déconfinement présenté au Parlement, qui prévoit quant à lui les mesures pour l’après 11 mai. Ce plan a été rejeté par le Sénat après avoir été approuvé par l’Assemblée nationale, mais cela n’empêchera pas le déconfinement d’entrer en vigueur car son adoption par le Parlement n’était pas un préalable obligatoire.

En plus de prolonger l’état d’urgence de deux mois, donc notamment les mesures concernant le travail (voir nos notes précédentes), le projet de loi prévoit également de nouvelles mesures de réglementation et de restriction de droits et libertés dues à la fin du confinement général. La nature de ces restrictions ainsi que leurs modalités s’inscrivent dans le régime d’exception institué avec l’état d’urgence, marqué notamment par l’étendue des pouvoirs accordés à l’exécutif et à l’écart du contrôle judiciaire. De plus, le flou des formulations et des encadrements prévus laisse craindre une utilisation abusive et pérenne de ces dispositifs.

Article 1 : Prolongation de l’état d’urgence de deux mois

A partir du 24 mai, l’état d’urgence est prolongé jusqu’au 23 juillet inclus.

Ainsi, toutes les mesures dérogatoires prévues dans le cadre de l’état d’urgence sont prolongées, sans considération de la fin du confinement annoncé pour le 11 mai. Or certaines mesures perdent leur justification, comme par l’exemple les réunions du CSE autorisées sur WhatsApp y compris pour les entreprises qui rouvriront.

Il aurait pourtant paru indispensable que les mesures qui perdent leur justification initiale ne soient pas prorogées.

Article 2 : Circulation, établissements et regroupements de personnes, réquisitions, mise en quarantaine et isolement

Réglementation et interdiction des moyens de transport

Il s’agit ici d’une adaptation pour la fin du confinement, le projet de loi ajoutant à la possibilité d’interdire l’utilisation des moyens de transport celle de la réglementer.

Cela a notamment pour but de rendre obligatoire le port du masque dans les transports.

Etablissements et regroupements de personnes

L’ouverture des établissements recevant du public pourra être réglementée par le Premier ministre, au même titre que leur fermeture temporaire toujours admise. La fermeture temporaire ou la réouverture pourra également concerner « tout autre lieu de regroupement de personnes », alors qu’étaient visés avant les lieux de réunions. Il faudra être vigilant sur la façon dont pourra être utilisé ce changement de terminologie.

Réquisitions

Les possibilités de réquisitions des personnes sont élargies. Il sera possible de réquisitionner toute personne nécessaire à la lutte contre la catastrophe sanitaire.

Mise en quarantaine et isolement

Les mesures de mise en quarantaine et isolement ne pourront être prononcées qu’à l’encontre des personnes lors de l’entrée sur le territoire métropolitain et d’outre-mer (ou en provenance de ces collectivités), qui reviennent d’un séjour dans une zone de circulation de l’infection, zones qui doivent être listées publiquement.

Les définitions d’isolement et de quarantaine utilisées émanent d’un texte international (1), selon lequel l’isolement est « la mise à l’écart de malades ou personnes contaminées de façon à prévenir la propagation de l’infection ou de la contamination » et la quarantaine est « la restriction des activités et/ou de la mise à l’écart des personnes suspectes qui ne sont pas malades de façon à prévenir la propagation éventuelle de l’infection ou de la contamination ». Pourtant, d’après l’article L.3131-15 du code de la santé publique, créé par la loi de l’état d’urgence, la quarantaine peut concerner les « personnes susceptibles d’être affectées » et l’isolement « les personnes affectées ». Or, le fait d’être affecté peut dépasser la notion de contamination, retenue par le règlement international et qui aurait été suffisante.

De plus, si le cas d’une personne atteinte du covid-19 ne laisse pas place à l’interprétation, en revanche, l’appréciation des personnes susceptibles d’être affectées (concernées par la quarantaine) est fortement sujette à débat. Il faudra s’assurer que ces mesures restrictives et privatives de liberté ne puissent être prononcées que dans le strict respect et contrôle de leur finalité.

La durée de ces mesures, les lieux où elles peuvent se dérouler, le suivi médical et les conditions d’exécution (notamment les déplacements des personnes concernées) sont déterminées après avis du comité des scientifiques. Mais le projet de loi ne prévoit pas de critères précis sur lesquels devra se baser le comité scientifique.

Articles 3 et 4 : Modalités des mesures individuelles de mise en quarantaine et de placement en isolement

La mesure individuelle de mise en quarantaine ou à l’isolement pourra être décidée par le représentant de l’Etat dans le département, sur proposition du directeur général de l’Agence régionale de santé et par décision motivée. Rien ne précise les modalités, formes et délais de notification faite à la personne.

Le placement à l’isolement est subordonné à la certification médicale de l’infection.

La mise en quarantaine ou à l’isolement pourra durer jusqu’à 14 jours sans le consentement de la personne. Pendant ces 14 jours, la personne concernée n’a aucun recours possible contre ces mesures extrêmement restrictives de liberté. Pendant cette période, le recours au juge des libertés et de la détention (JLD) n’est en effet autorisé que dans le cas où aucune sortie n’est autorisée. Le JLD, qui peut également se saisir d’office, doit alors statuer dans les 72 heures.

Ces mesures privatives et restrictives de libertés pourront ainsi être prononcées en amont de toute intervention du juge, ce qui est gravissime dans un Etat dit de droit, et en suivant des modalités très légères.

A l’issue de ces 14 jours, si la mise en quarantaine ou à l’isolement n’est pas levée, la poursuite de ces mesures est subordonnée soit au consentement de la personne concernée, soit à une décision du juge des libertés et de la détention (JLD). Il est regrettable que le juge n’intervienne ainsi réellement qu’au bout de 14 jours.

Dans tous les cas, la mesure ne peut durer plus d’un mois.

Article 5 : Elargissement des personnes pouvant constater le manquement aux obligations liées à l’état d’urgence sanitaire

Pourront constater par procès-verbal le manquement aux obligations liées à l’état d’urgence sanitaire :

  • certains agents de police adjoints (notamment les gendarmes et policiers volontaires ou de réserve) pour toutes les obligations, dès lors qu’aucune enquête n’est nécessaire ;
  • les agents assermentés missionnés des services internes de sécurité de la SNCF et de la RATP dans les transports pour les infractions liées à l’utilisation des transports en commun ;
  • des fonctionnaires habilités à cet effet par le ministre chargé de l’économie pour les questions de contrôle des prix et de liberté d’entreprendre.

Sachant que nous avons pu constater que les agents de police habituels ont pu prendre des mesures arbitraires, et notamment discriminatoires, le fait d’étendre ce pouvoir de sanction à d’autres agents alarme tant sur le nombre d’erreurs qui risquent manifestement d’être commises que sur les dérives imaginables.

Article 6 : Création d’un système d’information aux fins de lutter contre le covid-19

Un système d’information sera créé aux fins de lutter contre le covid-19, sous la direction du Ministre chargé de la santé. Les systèmes d’information existants pourront également être adaptés.

L’utilisation du système pourra durer le temps de la propagation de l’épidémie, ou au maximum un an. A l’issue de cette durée, les informations ne pourront être conservées.

Cela a pour objet : la détermination des personnes infectées ou susceptibles de l’être (tout le monde !), la collecte des informations pour déterminer les personnes ayant été en contact, l’organisation des examens de dépistage et la collecte de leurs résultats, les prescriptions médicales d’isolement prophylactique des personnes, le suivi médical et l’accompagnement des personnes pendant et après l’application de ces mesures, la surveillance épidémiologique aux niveaux national et local, la réalisation d’enquêtes sanitaires en présence de cas groupés et la recherche sur le virus et les moyens de lutter contre sa propagation.

Les informations pourront être partagées « le cas échéant sans le consentement des personnes intéressées ».

Les données de ces systèmes d’information pourront être accessibles seulement à certains agents habilités.

Les modalités d’application seront fixées par décret (dans le respect du règlement européen relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données), après avis rendu par la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés).

L’article habilite au passage le gouvernement à prendre une ordonnance sur ce sujet, ce qui n’est pas bon signe…

La vigilance sur l’utilisation du système d’information qui est censées l’être aux seules fins de lutter contre la propagation de l’épidémie devra être primordiale, lorsqu’on sait que ces dispositifs de surveillance sont régulièrement détournés de leur finalité affichée (voir les dispositifs dans le cadre de la « lutte contre le terrorisme »).

(1) Règlement international sanitaire de 2005

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