Surenchère dans les annonces d’investissements : SAP se distingue
Le 22 janvier 2018, le président Macron organisait en grande pompe le sommet économique « Choose France » au château de Versailles. Les 140 dirigeants d’entreprises conviés ne ratèrent pas cette occasion de contribuer à des annonces prometteuses, totalisant notamment plus de 3,5 milliards d’euros d’investissements et la création de plus de 2 200 emplois. Belle opération de communication pour le gouvernement. Mais comment sortir du lot et être audible parmi les entreprises représentées ? Bill Mc Dermott, patron de SAP monde, déclara que le groupe SAP investirait 2 milliards d’euros en France au cours des 5 prochaines années, soit près de 60% de la totalité des investissements annoncés.
A la lecture d’une telle annonce, relayée sans analyse critique par moult médias et par l’Élysée, que comprend un citoyen de bonne foi et mal informé ? SAP s’engage à dépenser 2 milliards d’euros supplémentaires en France. Cela comprend probablement la création d’emplois nets. Les orientations du nouveau gouvernement commenceraient-elles déjà à payer ?
Des intentions floues, pas d’engagements fermes, quelles conséquences pour les salariés ?
Le Comité d’Entreprise de SAP France a immédiatement demandé des informations plus détaillées sur la nature des investissements, leur répartition par type de projet, et leur étalement dans le temps. La direction France a reconnu sans complexe qu’il ne s’agit pas de « dépenses supplémentaires ». SAP prévoit de dépenser 2 milliards en 5 ans en France, mais cela inclut les annonces d’investissements dans la Recherche et Développement (R&D) et dans l’accompagnement de start-up. Cependant, la direction a refusé de communiquer aux élus la part des dépenses qui sera consacrée aux investissements nouveaux, le montant actuel des dépenses annuelles du groupe SAP en France, la nature et le détail des éventuels désinvestissements résultants pour d’autres domaines.
Malgré le silence et l’opacité de la direction, quelques informations sont bien connues. Le groupe SAP emploie plus de 2 200 salariés en France, dont plus de 1 600 au sein de la société SAP France qui, à elle seule, dépense plus de 300 millions d’euros par an en de frais de personnel. Sur 5 ans, sans augmentation salariale et à effectif constant, cela représenterait déjà plus de 1,5 milliard d’euros. Si l’on prend en compte les autres dépenses de la société SAP France (locaux, informatique, …) ainsi que la totalité des dépenses des autres sociétés du groupe SAP en France, le total sur 5 ans est très proche de 2 milliards d’euros, voire supérieur.
Par conséquent lorsque SAP annonce tout à la fois vouloir investir massivement dans la R&D et l’innovation, et ne dépenser « que » 2 milliards d’euros en France au cours des 5 prochaines années, cela ne garantit aucun nouvel emploi net, et nombre de salariés déjà en poste s’interrogent sur les intentions du groupe pour maîtriser la masse salariale tout en assurant les investissements affichés. Pour autant, ces annonces médiatiques n’engagent pas SAP contractuellement, pas plus que le gouvernement. Les perspectives ainsi suggérées n’engagent que ceux qui veulent bien y croire.
Communications trompeuses : une pratique éprouvée ?
En mars 2014, Bill Mc Dermott avait déjà rencontré Emmanuel Macron (alors secrétaire général adjoint de l’Elysée), annonçant la création en France d’un nouveau centre de R&D de 500 personnes, dédié à la visualisation de données (« dataviz »). En réalité, il ne s’agissait que de réunir les équipes existantes (commerciales, R&D, fonctions support) dans une seule tour de bureaux à Levallois… Puis en avril 2015, Bill Mc Dermott avait rencontré le président Hollande et Emmanuel Macron, devenu ministre de l’économie. Cette fois, le patron de SAP avait promis d’investir plus de 100 millions d’euros dans des start-up sur 5 ans.
Concrètement, que s’est-il passé depuis ? Une importante partie des projets de « dataviz » a été retirée aux équipes françaises et confiée à d’autres pays au sein du groupe. Dès 2014, SAP a lancé un plan massif de suppressions d’emplois dans le monde, conduisant en France à quelques dizaines de réductions de postes, dont quelques licenciements contraints. Le PSE 2014 a été suivi en 2015, peu après les nouvelles annonces d’investissements, par un autre plan de départs présentés comme « volontaires ». Ainsi, SAP a dépensé des sommes importantes en France pendant plusieurs années pour se séparer de nombreux salariés.
Mais 4 ans après les annonces prometteuses de 2014 et 2015, SAP se garde bien d’établir et, a fortiori, de communiquer un bilan des actions véritablement menées comparativement aux promesses formulées. L’Élysée et les ministères intéressés ne peuvent et ne devraient pas l’ignorer.