Ordonnances Macron : une gouvernance d’entreprise encore plus déséquilibrée
Dans son programme à l’élection présidentielle de 2017, Emmanuel Macron déclarait « L’entreprise est une communauté de destins entre dirigeants et salariés, actionnaires et parties prenantes, fournisseurs et clients ».
Pourtant, au lieu d’ouvrir le gouvernement de l’entreprise à plus de parties prenantes, les ordonnances réformant le Code du Travail le restreignent aux seuls acteurs tirant leur légitimité des actionnaires.
La gouvernance d’entreprise comprend la direction, qui tire sa légitimité des actionnaires. Elle comprend aussi les institutions représentatives du personnel (délégués du personnel, comités d’entreprises, comités d’hygiène de sécurité et des conditions de travail ou CHSCT), qui, avec les organisations syndicales, représentent les salariés, apporteurs en travail, et tirent leur légitimité du vote de ceux-ci. Or, les ordonnances prévoient la fusion de ces institutions au sein d’un « comité social et économique », lequel devra prendre en charge l’ensemble des questions dont elles traitaient, avec des moyens humains, juridiques (personnalité morale pour chaque instance) et matériels revus à la baisse.
En témoignent les mesures relatives aux expertises dont bénéficient les représentants des salariés sur les questions économiques, financières et sociales, ainsi que sur les questions de santé et de conditions de travail. Ces expertises leurs sont nécessaires pour dialoguer avec la direction sur ces sujets sans être tributaire des seules informations et analyses fournies par cette dernière. Elles rééquilibrent, pour partie, l’écart de temps, d’accès à l’information et de qualification entre une direction dont c’est le métier et des représentants du personnel dont ce n’est pas le métier.
Or, il est prévu qu’une grande partie de ces expertises soient désormais cofinancées par le budget de fonctionnement du « comité social et économique », budget qui sera pour l’essentiel calculé comme celui du budget de fonctionnement du comité d’entreprise aujourd’hui, lequel n’a pas été prévu pour cela. Plus encore, la possibilité existera désormais d’utiliser ce budget pour les actions sociales et culturelles. Ainsi, par tous les moyens, on pousse les représentants des salariés à se cantonner aux « chèques vacances », au détriment de leurs autres prérogatives.
Les ordonnances prévoient également de diminuer les qualifications requises pour réaliser ces expertises. Pour la consultation sur les orientations stratégiques, l’expertise ne sera plus nécessairement réalisée par un cabinet d’expertise comptable. Or, l’accès aux informations stratégiques pour l’expert des représentants des salariés est rendu possible par deux dispositions du Code du Travail qui ne concernent que l’expert-comptable, dispositions qui sont maintenues par les ordonnances mais pas étendues aux autres experts.
Les experts CHSCT n’auront quant à eux plus un agrément ministériel mais une simple habilitation. Sur ces questions sensibles, le gouvernement invite donc à baisser le niveau d’exigence et de qualité ! Pourtant, selon Eurostat, la France était en 2014 le pays européen le plus meurtrier pour les travailleurs, avec 589 accidents de travail mortels.
Les ordonnances prévoient aussi que la direction de l’entreprise pourra saisir le juge judiciaire pour contester la nécessité de l’expertise, le choix de l’expert, le cahier des charges, les informations, l’étendue ou la durée de l’expertise. Enfin elles prévoient qu’un décret en Conseil d’état déterminera le délai maximal dans lequel l’expert remet son rapport, indépendamment de la remise ou non par la direction des informations dont l’expert a fait la demande.
Le gouvernement entend diminuer les coûts des entreprises au nom d’un objectif de compétitivité. Mais son attention ne porte que sur le coût du travail, à travers la rémunération des salariés et les moyens de leurs représentants. Il est étonnant que seul soit concerné ce type d’expertise qui représente moins de 10% des dépenses d’honoraires des entreprises, quand les 90% commandités par les directions (dont les avocats, communicants, lobbyistes qui les assistent pour le dialogue social) ne sont pas montrées du doigt. Rien, non plus, n’est prévu pour diminuer le coût du capital, qu’il s’agisse du montant des dividendes qui vont atteindre un niveau record en 2017 à plus de 54 Mrds €, ou des rémunérations des dirigeants, dont les stock-options et les parachutes dorés.
De nombreuses pistes existent pour réformer la gouvernance de l’entreprise et revoir l’équilibre des différents coûts au sein de celle-ci. Les organisations syndicales en proposent, mais elles ne sont pas entendues. Ce gouvernement, comme le précédent, s’est attaché à revoir le fonctionnement de l’entreprise, institution aux multiples parties prenantes, en n’écoutant que le MEDEF, dont la représentativité n’est issue d’aucun vote.
Nous demandons que les moyens des représentants des salariés pour exercer leurs prérogatives soient maintenus. Pour les expertises, cela implique le maintien du financement par l’entreprise, l’absence d’intrusion de la direction, le maintien des qualifications exigées des experts.
Nous demandons aussi que la question de la gouvernance d’entreprise et de la place des différentes parties prenantes dans celle-ci fasse l’objet d’un débat où tout soit mis sur la table, y compris, le coût du capital.
Noël Lechat, secrétaire général de la Fédération CGT des Sociétés d’Etudes, de Conseil et de Prévention, et les syndicats et sections syndicales CGT des cabinets Alter, Apex-Isast, Degest, Sécafi, Sextant, Sogex Cube, Syndex, Technologia